vendredi 24 octobre 2014

Thom Yorke - A Brain In A Bottle

Il y a dix sept ans, époque Ok Computer, être fan de Radiohead était presque de rigueur chez les fans de "rock indé" au sens large. Il y a quatorze ans, période Kid A-Amnesiac, ça l'était davantage encore pour ceux qui n'avaient pas fui lors de ce virage électro. Il y a onze ans, avec un Hail To The Thief plus immédiat, c'était encore une influence très recommandable.

Et puis est arrivé In Rainbows. Premier album décrié du groupe qui révolutionnerait néanmoins le monde de la musique (plus sur la forme que sur le fond, le pay what you want étant désormais généralisé par des plate-formes telles que Bandcamp). Je veux bien (je ne suis pas d'accord mais je l'entends) qu'on considère In Rainbows comme une collection de morceaux plus que comme un album véritablement cohérent, et en cela, je pouvais comprendre les critiques.

Mais quand, quatre ans plus tard, ces mêmes critiques tournent le dos au quintet d'Oxford suite à un The King Of Limbs qu'ils n'ont manifesté ni compris, ni cherché à comprendre, et alors même qu'il n'y aurait rien eu de plus décevant de la part de Radiohead que de faire un réchauffé quelconque, c'est moi qui n'y comprends rien.





Ou plutôt, je comprends trop bien la position des Inrocks et compagnie, malheureusement suivis par le public qui leur confère une parole d'évangile largement démesurée. Thom Yorke sort désormais par les yeux de ces types. Comme Beck. Comme Björk.

Alors que dans les années 10 que nous vivons actuellement se révèlent chaque semaine de nouveaux artistes aux horizons fascinants, ces "journalistes" encensent les copains, les artistes défendus par les copains (les labels) et, car il faut être honnête, quelques coups de coeur recommandables. Tout cela est malgré tout bien souvent consensuel. C'est certes bien foutu (puisque ce sont les amis, il y a souvent les producteurs de talent et fortunés derrière), la prod' est soignée, mais il manque un supplément d'âme qui permet de véhiculer ce à quoi sert initialement la musique : des émotions.

Thom Yorke, comme Beck (dont le dernier Morning Phase a été conchié alors qu'il est extra) et Björk ne sont pas consensuels. Ils se répètent rarement (et quand c'est le cas avec Beck pour ce Morning Phase qui reprend les choses là où il les avait laissées avec son sommet Sea Change, ce n'est de toute façon pas apprécié). Ils ne brossent pas les journalistes dans le sens du poil et ce qu'il propose n'est pas facile d'accès.

J'allais dire que ces artistes n'ont pas sciemment suscité l'attente en créant un personnage. Ce serait contestable, mais ils n'ont pas cédé à la tentative, finalement bankable sans trop d'effort, de se faire oublier en stoppant toute parution pendant dix ans, façon Aphex Twin, My Bloody Valentine voire même Boards of Canada ou Godspeed You! Black Emperor. Si les sorties des deux derniers étaient tout à fait acceptables, les deux premiers ont publié des disques décevants (le Aphex Twin est bon, mais loin de ses œuvres majeures) encensés par la presse. Non, Thom Yorke (4 ans entre In Rainbows - 2007 et The King Of Limbs - 2011, bien qu'il ait durant cet intervalle sorti un 12" avec Jonny Greenwood et multiplié les apparitions sur d'autres disques, aux côtés notamment de Modeselektor) comme l'Islandaise (4 ans entre Volta - 2007 et Biophilia - 2011, si l'on excepte son premier disque paru à l'âge de douze ans et bien avant le suivant) et l'Américain (6 ans entre Modern Guilt - 2008 et Morning Phase - 2014, ceci constituant une exception pour cet artiste prolifique), ne s'est jamais tu trop longtemps.

Bref, ces artistes agacent. Que leurs albums les plus marquants soient derrière eux, peut-être. Sans doute même. Mais on parle là d'albums comme Odelay, Sea Change, Homogenic, Vespertine, Ok Computer ou Kid A, soit la crème des albums de la période 1995-2005. Une décennie que ces artistes là, aux côtés de quelques autres, ont dominé. Alors ces types sont passés du "génie" au "très bon", et on essaie de nous faire croire que ces quadras plus ou moins proches de la cinquantaine (l'an prochain pour Björk, déjà) sont en manque d'inspiration ? Ils ont évolué, n'en peuvent plus d'écouter les ersatz des mêmes artistes. Ils sont sans doute trop ambitieux et donc incompris. Le chemin inverse du génie incompris ordinaire, en somme.

Notre monde n'est sans doute pas prêt à reconnaître que Tomorrow's Modern Boxes, nouvel album de Thom Yorke, lâché il y a quelques semaines par surprise (comme In Rainbows, mais de manière légale et payante sur un réseau peer-to-peer, paradoxe ultime), est de haute volée. Même les fans indés s'emparent du discours ambiant en dévalorisant ce disque. Sans doute l'ont-ils écouté. Peut-être même ont-ils raison.

Il est certain qu'un disque comme There Is No Ice (In My Drink) n'est pas facile d'accès par exemple. Entre dubstep, ambient et electronica minimaliste, le leader de Radiohead nous irrigue de sons syncopés, d'effets vocaux, de construction à tiroirs. Pas de pop sur fond de couplet-refrain-pont-couplet-refrain ici. C'est évidemment plus complexe à ce niveau mais également dans l'interprétation.

Qu'on présente des titres comme Pink Section (un des titres minimalistes les plus hantés de la dsicographie de l'Oxfordien) pour dire que l'on s'ennuie sur ce disque, d'accord. Mais alors, du fait d'un Treefingers, que dire de Kid A ? Il est certain que ce n'est pas avec ce disque que l'Anglais va nous convier sur les dancefloors. Tant mieux.

Et la question de l'unité de l'album est ici évidente. Les transitions sont plus que soignées, elles créent un univers tout en lien où chaque pièce s'articule avec la suivante tout en proposant un album qui évolue d'une sphère plus proche du génial The Eraser - le premier opus solo de Yorke - vers quelques chose de plus intriguant, plus éloigné des sentiers battus et sur lequel le chanteur utilise et déforme sa voix pour assombrir l'atmosphère.

Si un jour Thom Yorke me déçoit, je l'énoncerai clairement. J'étais même prêt à ne pas apprécier ce Tomorrow's Modern Boxes après une écoute pas assez attentive. C'est dire si je peux comprendre ses détracteurs. Mais force est de constater que ce n'était ni hier avec Atoms For Peace (le très bon AMOK en 2013), ni aujourd'hui que ce sera le cas. Peut-être demain ? Je prendrais alors mes distances avec le bougre en énonçant un "avant 2015" impeccable et un après que je conchie. Pour l'instant, je ne repère aucune rupture de ce type dans la discographie du Britannique. Les Inrocks la placent en 2007. Ils ont sans doute raison puisqu'ils ont plus de lecteurs...


2 commentaires:

  1. Personnellement je ne lis quasiment jamais les critiques "officiels". Depuis quelques années les blogs ou site indépendants me conviennent parfaitement pour me faire une idée, question d'habitude pour s'étalonner par rapport à eux.

    Concernant les disques que tu cites, le dernier Thom Yorke me déçoit un tout petit peu. Pas côté musique parce que je continue à apprécier son démarquage du format pop couplet/refrain, j'aime beaucoup ça et ce dernier album tient bien la route. Ma petite déception vient plutôt du chant que je trouve moins inspiré que sur "The Eraser" ou sur "Amok". La déception est quand même très relative. Le dernier Beck j'ai plus de mal. Il m'a fait le même effet que le Eels : trop introspectif pour me tenir sur la longueur et du coup également un peu trop "plat" alors que j'adore chez ces deux artistes les ambiances contrastées qui animent leurs disques habituellement. Encore une fois c'est relatif parce que le Eels je l'écoute quand même de temps en temps, ceci dit beaucoup moins que "Wonderful Glorious".

    Quant à Bjork, je joue mon joker, je n'ai jamais accroché à sa musique. C'est sûrement très bon, évidemment loin du mainstream des machines à fric mais pas mon truc.

    Globalement je partage ton point de vue sur les critiques, après il faut simplement ajuster suivant nos sensibilités respectives.

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  2. Salut,
    bon article, c'est intéressant de comprendre ton point de vue, il est bien étayé.
    tu parles de supplément d’âme, de véhiculer des émotions, et je suis complètement d'accord avec cela. Mais c'est justement cela qui manquait cruellement au King of Limbs. Pour moi c'est l'archétype du disque bien foutu, bien produit, mais qui tourne à vide, qui n'imprime rien dans mon cerveau ou mon coeur. En cela je le différencierai du Eraser (très bon) et du AMOK (pas mal). Ce n'est pas Thom Yorke qui a déçu, mais Radiohead (d'autant que le groupe semblait fantomatique sur ce disque).
    Quelques mots sur le Beck, ta position semble quand même très minoritaire. Du coté de mes connaissances, tout le monde a trouvé le dernier Beck ultra ennuyeux. Moi aussi, mais mon avis ne compte pas tant, car je n'ai jamais été fan de Beck, il n'y a que le Sea Change qui me plait vraiment.
    concernant l'objet de ton article, ce morceau est vraiment sympa. il faudrait que l'album sorte physiquement, j'ai du mal avec les mp3...

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