samedi 11 mars 2017

Sleaford Mods - B.H.S. (2017)


Pour une formation musicale qui s’est bâtie sur une critique acerbe des dérives de la société, de la déshumanisation et du capitalisme, il est toujours difficile d'assumer un succès commercial, même relatif. A ce petit jeu, plusieurs formations se sont brûlées les ailes, notamment chez nos voisins britanniques.


Les Sleaford Mods seront peut-être un jour une caricature d’eux-mêmes, de ce qu’ils contestaient auparavant. Mais à l’heure actuelle, ils sont sont toujours loin de sombrer dans cet écueil. De par son titre, English Tapas est déjà un véritable bras d’honneur à la mondialisation, comme l’explique Jason Williamson : « Andrew se baladait et est entré au hasard dans un pub. Il vit alors « English Tapas » griffonné sur l’ardoise du menu. Au-delà de cette charmante association, il y avait surtout la composition : un œuf écossais, des frites, des cornichons et une mini-tarte au porc. Cela dit tout sur ce putain de lieu. C’est de la comédie, c’est une pose, c’est l’ignorant même, et surtout c’est de la merde ».

Affligé par cette « découverte », le duo l’est surtout par les dirigeants de ce monde. English Tapas est forcément influencé par le brexit, le duo n’ayant jamais boudé l’actualité politique nationale et internationale dans ses productions. S’il est certain qu’une maîtrise imparfaite de la langue de Shakespeare altère la compréhension d’un tel disque, tant les Sleaford Mods attachent de l’importance aux paroles débitées par un Jason Williamson toujours au sommet lorsqu’il s’agit de faire preuve de hargne vocale, il sera difficile de bouder son plaisir durant l’écoute.

Souvent primaires et répétitives, les boucles instrumentales n’en sont pas moins terriblement efficaces. Assurément, ce disque n’est pas celui qui sonnera le glas des ambitions d’un duo qui nous a fait connaître une frayeur en 2015. En effet, avec Key Markets, les Britanniques offraient un triste successeur à l’excellent Divide & Exit sorti l’année précédente. A leur éternelle rage, Jason Williamson et Andrew Robert Lindsay Fearn oubliaient d’associer le rythme et la candeur nécessaires. En bref, ils se prenaient trop au sérieux.

Simple erreur de parcours donc, puisque l’EP TCR corrigeait largement le tir l’an passé avec deux singles aussi fascinants que le titre éponyme et surtout I Can Tell. Et cet English Tapas confirme que les Nottinghamiens ne sont pas sous respiration artificielle.

Pied au plancher, le duo attaque ce neuvième album – le cinquième depuis que Andrew Robert Lindsay Fearn a remplacé Simon Parfrement – avec un très efficace Army Nights dont les basses comportent un caractère industriel finalement pas si éloigné de Nine Inch Nails. Et la succession d’un Just Like We Do rempli d’ironie dénote dans la discographie du duo avec l’apparition en fin de morceau de claviers plus doux et presque mélancoliques.

Il ne s’agit que d’une trêve, Moptop sortant de nouveau la grosse artillerie avec une instrumentation lourde qui n’a d’égale qu’un flow assuré. Le reste dEnglish Tapas est à l’avenant : quelques compositions sans guère de surprises mais efficaces, à l’instar de Carlton Touts ou ce Messy Anywhere qui voit Jason Williamson dérouler une verve hypnotique, côtoient des titres imparables lorgnant aussi bien sur la face rageuse du duo (Snout et sa rythmique tranchante) que vers un registre plus apaisé, à l’image d’un Time Sands où la nonchalance se substitue à la colère, la discrète rondeur des boucles de basse et le flow plus ralenti du britannique contribuant à déployer une ambiance presque downtempo.
Les Sleaford Mods savent sortir de leur zone de confort, à l’image de Cuddly dont la boîte à rythmes synthétique s’accompagne de quelques accords mineurs de piano rappelant l’autre versant de Trent Reznor qui, au diable la mondialisation, pourrait donc constituer une réelle influence pour le duo sur cet English Tapas. Pour autant, ils œuvrent le plus souvent dans un registre bien ficelé. Ainsi, B.H.S. est l’exemple typique du mystère Sleaford Mods. Comment, avec des composants aussi primaires qu’une boucle martiale et minimaliste sans variation (ou si peu) et un flow aussi cadenassé que celui de Jason Williamson, l’alchimie peut-elle si bien fonctionner ?

Le mystère reste entier, et I Feel So Wrong conclut le disque avec un titre qui traduit l’état d’esprit d’un duo toujours avide de joutes verbales avec ses contemporains (à ce petit jeu, Noël Gallagher est un formidable compère de jeu pour Jason Williamson) et en froid avec à peu près tout le monde sauf le prolétariat. Le chant de l’artiste se fait presque tremblant, tandis que sur le plan musical, des incursions plus tristes mais humaines apparaissent. Des fissures ? Les Britanniques se les autoriseraient-ils ?

A l’écoute des trente sept minutes dEnglish Tapas, il apparaît clairement que les Sleaford Mods sont encore bien trop honnêtes – serait-ce donc cela la clé du mystère ? – et pas encore prêts à être une caricature d’eux-mêmes. Le côté DIY sort par tous les pores de ce disque, à commencer par cette pochette qui, à l’heure de Photoshop, semble érigée avec Paint.
Leurs colères répétées contre à peu près tout et tout le monde ne sont rien d’autre que l’expression parfaitement authentique d’un mal-être et d’un dégoût de la société. Toutefois, de peur des représailles, nous éviterons de leur nommer trop fort l’émergence d’une nouvelle contradiction dans leur évolution. En effet, après avoir stoppé leurs activités professionnelles annexes – alors qu’ils estimaient précédemment qu’il s’agissait d’un gage d’honnêteté nécessaire pour garder le contact avec la masse – voici que les musiciens ont signé chez Rough Trade, écurie autrement moins confidentielle et "prolo friendly" que Harbinger Sound ou Deadly Beefburger Records chez qui ils étaient auparavant hébergés. Qu’importe, l’âme n’est pas vendue au diable pour autant...


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