En 2004, Bluffer’s Guide To The Flight Deck, premier album de Flotation Toy Warning, ne laissait aucun point de comparaison. Déjà parce qu’il s’agissait d’un opus initial (si l’on excepte deux EPs confidentiels), mais surtout car il posait les balises de territoires jusqu’alors inexplorés. Quelques cousins, de Mercury Rev à Grandaddy, étaient bien évoqués. Mais rien de suffisamment concret pour décliner la réalité de ces contrées chamber-space rock alors défrichés et qui allaient petit à petit devenir cultes.
Culte, c’est un euphémisme. Et un hypothétique second disque de Flotation Toy Warning est devenu, au fil du temps, une arlésienne du même calibre que les successeurs de A Campfire Headphase, drukqs ou Loveless. Et tout comme Boards of Canada, Aphex Twin et My Bloody Valentine, Paul Carter et ses acolytes ont remis le couvert. Avec davantage de réussite, toutefois, que leurs aînés (on épargnera toutefois l’injustement boudé Tomorrow’s Harvest).
Cette mise en contexte de The Machine That Made Us était pourtant indispensable. Car comment est-il possible de juger un tel album en faisant fi des énormes attentes qu’il engendre et qui feront, quoi qu’il arrive, des déçus ? Bluffer’s Guide To The Flight Deck est en effet de ces disques longs en bouche, ce qui explique le fait qu’il n’ait pas été immédiatement évalué à sa juste valeur autant que l’ampleur du statut qu’il a acquis au fil des années. Et forcément, il ne suffira pas d’une poignée d’écoutes pour s’approprier dignement son successeur. A cette époque de zapping permanent, qu’y a-t-il de plus casse-gueule que le petit frère d’un monstre qui se fait désirer ?
Heureusement, dès l’entame du disque et ce Controlling The Seadantesque, l’auditeur est rassuré. La voix de Paul Carter vole encore bien au-dessus d’une mêlée qu’il domine tout en l’enviant parfois, tel un spectre insouciant narguant des mortels qu’il aimerait rejoindre. C’est un mélange de plénitude et de nonchalance qui se dégage de cette ligne vocale éclipsant totalement l’instrumentation faite d’une rythmique minimaliste, de nappes synthétiques traînantes et de quelques chœurs. N’est-ce pas l’apanage des grands titres que de voir les divers instruments se mettre au service d’un élément qui les sublime ?
Peut-être, mais pas seulement. S’il n’y avait qu’une recette s’agissant des morceaux qui font date, il y aurait bien longtemps que la foi d’écrire et écouter de la musique aurait disparu. Flotation Toy Warning l’a bien compris et refuse de ne considérer qu’une option. Ainsi, dès le Due To Adverse Weather Conditions, All Of My Heroes Have Surrendered suivant, les ondulations organiques suggèrent davantage de retenue et le chant semble décidé à jouer la même carte, mais rien à faire, ce sont quand même la grâce et la majesté qui constituent les réactions dominantes face à cette voix qui, en évoluant sur tous les registres, du spoken-word à la digne imploration en passant par la résignation, semble se répondre à elle-même.
Avec ce qui constitue sans doute l'un des plus beaux titres de chanson de l'année - sérieusement, cette idée de héros qui l'abandonnent à cause de conditions météorologiques défavorables, est-ce surtout brillant ou tordu ? - Paul Carter parvient à convoquer, en plus d'une instrumentation aussi délicate, soyeuse et ambitieuse que d'habitude, des lignes vocales au sens mélodique imparable. Le genre d'anti-refrain que, même chanté avec une voix de castrat sous la douche, le jet d'eau dans la bouche, a suffisamment d'envergure pour conserver son attrait.
Faire aussi bien que Bluffer’s Guide To The Flight Deck était tout simplement impossible, et cela ne pouvait pas être un objectif sérieux, treize ans après, pour Flotation Toy Warning. Produire un petit frère mineur mais acceptable aurait déjà constitué une belle surprise pour cette année 2017. Les Londoniens prennent appui sur toutes ces arlésiennes décevantes pour nous prouver qu’il est finalement possible, à cette heure de zapping-express, de répondre aux attentes insoutenables. Ceux qui n’accorderont qu’une paire d’écoutes à The Machine That Made Us ne se l’approprieront assurément pas tant il est dense, aventureux et riche en détails. Mais ceux qui, intrigués par une discrète évolution néanmoins perceptible dès les premières mesures, y reviendront de manière sérieuse en seront dignement récompensés. Et ils accéderont à un lyrisme psychédélique du plus bel effet. Soutenus par Sean Bouchard, le patron de Talitres, qui n’a pas hésité à investir sur cette sortie et à faire preuve de patience, Paul Carter et ses compères ont réussi à résoudre ce qui semblait constituer une impossible équation. Ou comment faire aussi bien que l’inaccessible.
Par ailleurs, Paul Carter a répondu en exclusivité à nos questions sur IRM. Vous pouvez découvrir l'interview en cliquant sur ce lien.
Par ailleurs, Paul Carter a répondu en exclusivité à nos questions sur IRM. Vous pouvez découvrir l'interview en cliquant sur ce lien.
J'avais découvert le précédent grâce à la musique à papa, bien après sa sortie, et je l'ai toujours apprécié même si je ne l'ai sûrement pas autant usé que Vincent où toi ;)
RépondreSupprimerJ'ai zappé rapidement celui-là, il m'a l'air bon à la première écoute rapide, j'avais prévu de l'écouter attentivement et ton papier me donne encore plus envie de le faire.
J'adore le titre aussi, il est génial ! Presque Flaming Lips des débuts dans l'humour absurde.
Logiquement j'aurai plus de temps dans moins d'une semaine, je vais me remettre dans des écoutes plus intensives ! Y'a plein de jolies choses qui sont sorties. Merci pour le rappel concernant ce disque en particulier ;)
À+
À la réécoute il est vraiment super bon ce disque. Pour le morceau dont tu parles, je suis particulièrement fan de sa dernière partie
RépondreSupprimerMon titre préféré !
RépondreSupprimerTout d'abord, bravo pour ce papier très sensible, à l'analyse très pertinente. Bien que je ne possède ce disque que depuis quelques joirs, force est de constater que c'est un véritable bijou. Perso, j'avais découvert émerveillé "Bluffer’s Guide To The Flight Deck" à sa sortie grâce aux Inrocks (qui le classèrent dans leur top 2004). Un OVNI musical d'une grâce absolue, aux mélodies inouïes, aux arrangements et orchestrations autant complexes, recherchées que pharaoniques. ce chant en apesanteur....et dire que c'était un premier album.
RépondreSupprimerMais revenons à cette suite tant attendue : Pas mal vue la comparaison de certains titres avec Sparklehorse. Et ce coté lyrique et grandiose à la Mercury Rev. Mais loin de n'être qu'une compilation de références, aussi prestigieuses soit-elles, la musique de Flotation Toy Warning est toujours aussi magique, unique, recherchée, audacieuse et gracieuse.
Avec l'album éponyme de Slowdive et celui de Ride, encore un come-back ultra réussi cette année. "The Machine That Made Us", disque 2017 ??? RDV en fin d'année !!!
A +
Francky01
Merci pour ton retour. En 2004, je n'écoutais pas autant de musique qu'aujourd'hui, et j'étais un peu jeune pour entrer dans l'univers de FTY. Mais même en le réécoutant aujourd'hui, ce premier disque (que j'aime beaucoup, hein) n'atteint pas les cimes du second à mon sens.
SupprimerJ'ai aussi aimé le retour de Ride, mais c'est "juste" un bon album qu'ils nous ont pondu, à mon sens ça ne boxe pas dans la même catégorie que les chefs-d'oeuvre (je pèse mes mots) de FTY et Slowdive.