samedi 3 décembre 2016

Live Report : Shoefiti - Bars en Trans’ (Rennes, 2 Décembre 2016)

Lorsque l’on évoque un festival rennais, on pense forcément aux Transmusicales. Mais de manière tout à fait honnête (et rationnelle), cet événement ne parvient pas à éclipser celui qui est pourtant considéré comme son petit frère, les Bars en Trans’.

A la différence des Transmusicales qui se déroulent dans des halls situés en périphérie, les Bars En Trans’se déroulent dans quelques bars rennais et le principal reproche que l’on pourrait lui faire est de nous contraindre à des choix parfois cornéliens tant les affiches sont alléchantes.
Rien que pour cette soirée de vendredi, la raison m’a longtemps fait hésiter entre la perspective d’entendre Oiseaux-Tempête au Mondo Bizarro ou Shoefiti au Penny Lane (sans occulter Le Comte à la Chapelle Saint-Yves à un horaire plus avancé). Le cœur l’a finalement emporté. Il faut dire que depuis Only Mountains Never Meet en 2012 et surtout Coriolis l’an passé, Shoefiti fait partie à mes yeux de ces valeurs sûres dans le paysage rock (au sens large) hexagonal.
Le début du set, avec un Peanuts très électrique, tend à resserrer précisément cette conception du rock. Le quatuor parisien composé d’un batteur, un bassiste assurant les chœurs, un guitariste, et le chanteur-guitariste sait que l’ensemble de l’auditoire du Penny Lane ne s’est pas déplacé pour eux (et c’est bien dommage) et qu’il doit donc le convaincre d’emblée, quitte à flatter ses plus bas instincts. On attend alors du "c’est rock" ou "c’est solide" dans la salle. Certes. Et l’enchaînement avec un Californian Blond Bikini Babes au moins aussi enlevé confirme cette première impression.
La première partie du set est à l’avenant, jusqu’à ce qu’Henri d’Armancourt n’annonce un inédit intitulé Atlas, évoluant selon un rythme plus lent et dans une veine plus mélancolique. On ne connaît pas encore la date de sortie de la prochaine livraison du groupe (mais l’on a de bonnes raisons d’y croire pour 2017) ni la tonalité de ce futur disque, mais ce titre ne peut que nous rendre optimistes tant il réussit le formidable double mouvement d’être aussi fidèle à la ligne directrice du groupe que d’ouvrir le champ des possibles, assurant probablement le maintien de sa trajectoire ascendante.
Henri d’Armancourt sait comment s’y prendre pour continuer à flatter les bas instincts de ceux qui n’auraient pas les écoutilles suffisamment ouvertes pour profiter de ce set qui s’approche dangereusement de sa fin puisque Shoefitijouera dix titres, essentiellement issus de Coriolis, le premier LP étant boudé. Ainsi, le chanteur appuie sur la fibre chauvine de l’auditoire en comparant Rennes à la "Portland de France", une image sans doute exagérée du caractère "rock" de la capitale bretonne, malgré la présence de formations aussi passionnantes que The Last Morning Soundtrack, Totorro ou Mermonte, ces derniers étant d’ailleurs évoqués avec beaucoup d’humour et de considération par le chanteur de Shoefiti, lequel entame un titre avec "plein de ’oh oh oh’ " en demandant si "il y a des Mermonte dans la salle" avant d’ajouter que "la moitié de Rennes connaît un Mermonte", allusion évidente au grand nombre de musiciens que comporte le groupe auquel on doit l’excellent Audiorama.
On imagine en tout cas la comparaison avec la ville américaine positive aux yeux de celui qui arbore un sticker "Keep Portland Weird" sur son ampli, et que l’on imagine influencé par Elliott Smith (qui emménagera dans la cité de l’Oregon à ses quatorze ans), les Dandy Warhols et Stephen Malkmus (qui s’est rapproché de la ville suite à la dissolution de Pavement) et en tout cas proche d’une formation telle que Portugal.The Man(originaire de l’Alaska avant de se baser à Portland) pour cette capacité à conjuguer mélodie, mélancolie et électricité.
Chemise à carreaux de rigueur (à l’exception du batteur), les Parisiens poursuivent donc leur set en déroulant des morceaux issus de Coriolis, mais la seconde partie sera légèrement moins enlevée et plus mélodique, l’ensemble évoluant parfois aux frontières du post-rock de Robin Foster, notamment sur l’Atlasévoqué précédemment. Sonorités plus traînantes et rythmique légèrement moins rapide justifient cette différence de perception.
Nous retrouvons avec plaisir Our Destroyer, présenté par le chanteur comme une chanson rappelant que même "dans une voiture pourrie, avec les bonnes personnes et les bons amis", le moment peut être mémorable. Mémorable, les instants que nous vivons le sont d’une certaine manière, à l’instar de WorkQueuePay, l’un des singles de Shoefiti, qui bénéficie d’une mise en valeur d’autant plus évidente qu’Henri d’Armancourt se permet de percer le public pour prêter aussi bien son micro que sa guitare à quelques quidams pour une version participative de ce titre renouvelant le concept du "métro-boulot-dodo", l’ultra-libéralisme en prime.
Que du bonheur, donc... Mais la routine n’existe heureusement pas dans les prestations du groupe qui se fend d’un autre inédit. Maura 1982 - qui parle de la prise de pouvoir d’une femme-robot par son vagin aux détriments des organes génitaux de différents présidents ayant abusé d’elle, vous suivez ? - débute d’abord de manière apaisée avant de revêtir un caractère plus dynamique voire brutal dans sa progression. Les reprises peuvent parfois faire penser à Sonic Youth et le dernier mouvement de ce morceau très étiré convoque également le spectre des Queens of the Stone Age.
Finalement, les quidams accoudés au bar - et qui se sont rapidement rapprochés de la scène - disant en début de set que "c’est solide" avaient évidemment raison. Peut-être certains repartiront-ils même avec le vinyle du groupe entre les mains, tant on ne peut qu’être convaincus par ce quatuor sympathique et authentique à la technique assurée et aux compositions inspirées dont le set aura défilé à toute vitesse, l’heure de jeu semblant avoir duré à peine la moitié. Mais ce qui compte, comme Our Destroyer l’explique si bien, ce n’est ni le temps, ni le cadre (pourtant fort agréable au Penny Lane avec son plafond bas et sa salle étirée dont on regrettera néanmoins le manque de visibilité dû à l’absence de scène surélevée), mais la musique et les personnes qui nous accompagnent. Elles étaient de qualité, ce vendredi, c’est le moins que l’on puisse dire.


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