samedi 31 août 2019

L'Epée - Dreams (2019)

L’EP Dreams, sorti en début d’année, nous avait déjà permis de flairer la bonne surprise. L’Epée n’est pas qu’un super-groupe venu toucher son cachet. 

Loin de là. Il faut dire qu’Anton Newcombe, déjà auteur d’un disque brillant en début d’année avec le Brian Jonestown Massacre, n’est pas du genre à se satisfaire de compositions mièvres. Associé à Lionel et Marie Limiñana, dont il a d’ailleurs produit Shadow People, dernier disque des Limiñanas, mais aussi à Emmanuelle Seigner, l’Américain a fait le choix d’une certaine cohérence puisque tous les membres partagent aussi bien une culture rock anglo-saxonne et un vif intérêt pour quelques figures francophones parmi lesquelles Françoise Hardy et, évidemment, Serge Gainsbourg.


Pour autant, les vétérans ne produisent pas un son daté, comme pourraient le laisser penser ces influences ancrées dans les sixties. Du père à la fille, il n’y a parfois qu’un pas, et à défaut de Serge, c’est au dernier album de Charlotte Gainsbourg que l’on peut penser lorsque, à l’instar de Ghost RiderEmmanuelle Seigner survole une rythmique martiale de sa voix à la fois naïve et affirmée.
Musicalement, les sonorités proposées apparaissent comme un pont entre les influences sixties du Velvet Underground et un shoegaze psychédélique façon My Bloody Valentine (Ghost RiderLou ou Un Rituel Inhabituel) voire Jesus & Mary Chain. Et l’on repense à ce disque souterrain enregistré en 2007 par Ultra Orange & Emmanuelle sans même se rappeler que l’Emmanuelle en question n’était autre qu’Emmanuelle Seigner. C’est dire si ce disque avait su s’imposer pour sa qualité intrinsèque plus que pour les noms de ceux qui l’ont conçu. Pour l’originalité, il faudra repasser, le communiqué de presse évoquant cet album qu’il est urgent de restaurer dans la mémoire collective des adeptes de l’héritage du rock psychédélique des sixties.
Comme elle le faisait douze ans auparavant, Emmanuelle Seigner s’érige en Nico à la française. A deux exceptions près – qui permettent d’apprécier la quasi-universalité de ce « french accent » reconnaissable entre mille lorsqu’il s’agit d’avoir recours à l’anglais – c’est bien la langue de Molière qu’emploie la chanteuse pour défendre des textes écrits par Lionel Limiñana. Si certains pourraient s’arrêter sur un hypothétique caractère féministe des paroles, cet éclairage permet de comprendre toute la nuance et les entrelacements qui s’invitent au moment de leur lecture. Sur le « single » Dreams, elle s’adresse à un(e) inconnu(e) par ces termes : « tu cherches à me toucher, tu voudrais m’embrasser, mais moi dans ces cas là, un coup de krav maga, et tu es reparti, dans le coffre de la Mini ». Comme l’explique Anton NewcombeL’Epée peut découper les êtres, mais également les libérer.

Quoi qu’il en soit, le phrasé à la Bashung de la chanteuse fait mouche et elle laisse planer le mystère, paraissant décrire des scènes d’une vie nocturne troublante, façon Black Lodge, notamment sur La Brigade Des Maléfices où elle déclame qu’ « en entrant, je sus tout de suite que j’avais tapé dans le mille, ils étaient tous là. Le cabaret ésotérique est un endroit mystérieux, fermé au public, réservé aux initiés. Il y a à l’affiche un mâle ténébreux, un fakir en lévitation ».
Initialement appréhendé comme un nouvel album solo d’Emmanuelle Seigner produit par des Limiñanas dont elle est tombée amoureuse après en avoir découvert un extrait au cours du visionnage d’une série, L’Epée tire finalement son nom d’un rêve d’Anton Newcombe, dans lequel il fantasmait la création d’un groupe rassemblant sous cet alias les quatre membres. Comment la pierre angulaire du Brian Jonestown Massacre est-elle entrée dans la danse ? Un peu par hasard, en découvrant les arrangements de Limiñanas desquels il est désormais proche. Alors que le disque semblait abouti, l’Américain a ajouté divers effets éloignant les compositions de leur aspect dépouillé initial.
Entre shoegaze psychédélique et rock post-beatnik, Diabolique est mâtiné d’une délicieuse préciosité et d’un soupçon d’érotisme. Enregistré à Berlin, ce disque n’est pas tout à fait l’addition des univers des personnalités qui le composent. Il en comporte évidemment les nécessaires effluves, de ces murs du son chers à Anton Newcombe à la voix charnelle d’Emmanuelle Seigneren passant par les guitares rock des Limiñanas. Mais, fait rare lorsqu’il s’agit de super-groupe alors même que cette donnée est essentielle, la fusion de ces univers amène l’ensemble vers un ailleurs parfois plus léger (Springfield 61) ou intégrant des aspects tribaux (Grande ou On Dansait Avec Elle). Avec cette voix envoûtante qui rôde toujours autour de sonorités dynamisées par l’électricité ambiante. Pardon pour la facilité, mais avec un premier album aussi abouti, les musiciens peuvent sabrer le champagne tant cette tentative est tout sauf un coup d’épée dans l’eau.



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