Pour autant, il y avait du beau monde à La Nouvelle Vague de Saint-Malo. Mourn, Meatbodies, Deerhoof, Blonde Redhead et Ghost Culture. Cinq concerts. Un que j'attendais particulièrement et qui justifiait à lui seul mon déplacement. Deux qui m'intéressaient sans que je ne sache trop quoi en attendre. Deux qui m'intéressaient moins.
Mais avant cela, quitte à être à Saint-Malo, il eut été dommage de ne pas se rendre à la conférence de Christophe Brault. J'avais déjà assisté à celle qu'il avait faite sur Damon Albarn, et j'en parlais d'ailleurs vaguement ici. Mais là, le thème me parlait moins. La no-wave. L'ancien disquaire commencera son intervention en disant que le thème était très pointu. Et comment. Un courant assez hétéroclite aux confins du punk, de la funk, du noise et du free jazz, qui regroupe, grosso modo, une sphère d'artistes ayant œuvré entre 1977 et 1984 à New York. Cette conférence me permettra de me rappeler l'étendue de mes lacunes musicales concernant tout ce qui est antérieur à 1990. Pour ainsi dire, à part Brian Eno, Sonic Youth et les Swans, je ne connais aucun des artistes dont le conférencier parle pendant deux heures (ou alors, seulement de nom, comme Arto Lindsay ou Arthur Russell). Enrichissant, donc, et une prise de note, pour redécouvrir ces noms de groupe apparemment essentiels, de DNA à Contorsions en passant par Teenage Jesus. Il faudra prendre le temps de découvrir tout cela.
Un petit tour en bord de mer - toujours agréable - en discutant musique - encore plus - histoire de patienter les trois heures nous séparant du début des concerts - le timing ne permet pas forcément d'aller voir le film sur Nick Cave projeté dans la salle des conférences - et vient enfin l'heure de rallier La Nouvelle Vague.
Cinq petites minutes de retard, et les filles (bon, les 3 filles et le batteur, pour être plus précis) de Mourn sont déjà à fond. Ce concert fait partie de ceux que j'attendais avec intérêt, puisque j'ai beaucoup apprécié leur premier disque éponyme, sorti fin 2014 en Espagne - elles sont catalanes - mais sorti en ce mois de février dans le reste de l'Europe. Comme sur le disque, les titres sont courts, les Espagnol(e)s vont directement à l'essentiel. La configuration spatiale mérite d'être évoquée avec une bassiste timide (sans doute la plus jeune de ce groupe d'adolescents) au milieu de la scène, et les deux guitaristes-chanteuses à chacune des extrémités.
Les tentatives de la chanteuse principale visant à faire la conversation (en anglais) sont touchantes. On voit que l'Espagnole a du mal à trouver ses mots dans la langue de Shakespeare, mais c'est incontestablement le groupe qui communiquera le plus avec le public. A bon escient. Car clairement, on ne vient pas pour entendre ces adolescentes faire leurs cours du soir en LV2 Anglais, mais les péripéties sont nombreuses pendant ce show, et les voir verbaliser rend celui-ci plus humain. Entre une erreur - du batteur, me semble-t-il - nécessitant que le morceau soit repris dès le début, et la chanteuse qui demande un pick au public car elle a cassé le sien et se détruit les doigts (et, de manière incroyable, quelqu'un au premier rang, lui en donne un : qui va à un concert avec un médiator ?), il y a matière à prendre quelques respirations nécessaires dans ce show abouti. On pense à Sleater-Kinney, mais la référence est peut-être trop facile. En tout cas, ce sera, me concernant, la meilleure surprise de la soirée (et peut-être même, le meilleur concert).
Je ne m'attarderai pas sur Meatbodies, groupe mené par un des potes de Ty Segall, visiblement moins doué. Leurs compos sont extrêmement stéréotypées : une petite intro à la gratte de dix secondes, puis les autres instruments et la batterie dégainent et génèrent du "tatapoum" sans subtilité aucune. M'ont-ils cassé les oreilles ? Oui.
Autre groupe dont je n'attendais pas grand chose : Deerhoof. Ce groupe est une énigme, puisque bien des compères le trouvent formidable. Mais je n'ai jamais accroché à leurs cds (je suis loin, très loin, de les avoir tous écoutés). Cependant, le groupe a une certaine présence sur scène. Et puis, arriver après Meatbodies me les rend, en comparaison, sympathiques. Mes tympans ne sont, ici, pas mis à rude épreuve. La chanteuse Satomi Matsuzaki et son format poche a du coffre, mais sa voix, peut-être un poil criarde, a tendance à me faire perdre mon attention par moment. Le groupe cherche toutefois à dynamiser et aérer son show, la chanteuse prenant même place derrière les fûts tandis que le batteur donne de la voix sur ledit titre. Difficile de savoir quoi penser de ces prestations où, entre quelques morceaux à l'indéniable qualité, notre attention se perd dans les méandres des détails visuels de la salle de concert. Ca n'en reste pas moins agréable, mais sans transcendance.
De la transcendance, c'est précisément ce que j'attendais de la prestation de Blonde Redhead. Blonde Redhead et La Route du Rock, c'est une histoire particulière (mais s'en rappellent-ils ?) puisque pour mon premier festival à St Malo, durant l'été 2004, les Américains avaient dû interrompre leur prestation du fait d'un pluie diluvienne. Je crois bien que c'est le seul cas de figure où la pluie a entraîné l'arrêt pur et simple d'un concert (qui ne reprendra pas par la suite) à la RdR. Pour la petite histoire, Dionysos avait joué par la suite. A l'époque, j'attendais davantage la prestation des Français (et elle fut formidable, il faut l'avouer). Avec onze ans de plus dans le cornet, et l'adolescence passée, la donne a bien changé, et c'étaient donc les Blonde Redhead qui suscitaient l'essentiel de mes attentes ce soir.
Les Américains en sont à neuf albums, et je dois avouer que je ne les ai pas tous écoutés. Pour autant, Misery Is A Butterfly, 23 et même Penny Sparkle comptent parmi les disques que j'apprécie. Mais mon préféré, c'est leur dernier, Barragán, sorti en 2014. Sur scène, les jumeaux Pace, à la guitare et à la batterie, font leur apparition, rapidement rejoints par Kazu Makino.
Le groupe débute avec le titre éponyme de ce dernier opus, douce et parfaite ouverture. Le début du show fera la part belle aux morceaux d'albums plus anciens (Misery Is A Butterfly et 23 notamment) avant que quelques enchaînements de Barragán ne commencent à poindre. Je comprends, en voyant sur scène la prestation du groupe, pourquoi j'ai particulièrement apprécié cet opus. Pour interpréter ces morceaux, Kazu délaisse la guitare et se place derrière le mellotron, qu'elle n'utilise presque pas pour les titres antérieurs à 2014. J'ai toujours eu une tendresse particulière pour cet instrument, très en vogue dans le "son de Bristol" et ses cousins comme Archive.
Une exception à la règle ? Kazu délaisse le mellotron sur Dripping, mon titre préféré de
Barragán, sur lequel chante Amedeo Pace. Je dois bien avouer une relative déception sur la première partie du morceau, trop saturé - grosso modo, le reproche que je ferai essentiellement à une bonne partie des groupes ce soir malgré l'acoustique très correcte de la salle - avant que celui-ci ne s'emballe, ou plutôt, ne nous emmène vers un univers volontairement répétitif et extrêmement hypnotique.
Le groupe joue longtemps, et fait preuve d'une maîtrise indéniable. J'aurais apprécié un peu plus d'échanges avec le public (ou un peu plus d'émotion). C'est finalement l'excellent rappel - quatre titres, quand même, ce qui n'est pas rien dans le cadre d'un festival - qui va me l'apporter avec d'abord une formidable version de The One I Love, puis un Defeatist Anthem (Harry & I) interrompu à la moitié du morceau pour un problème de batterie avant, "réparations" obligent, d'être repris dès le début trois ou quatre minutes plus tard, soit un intervalle durant lequel le groupe Kazu Makino et Amedeo Pace tentent de justifier ce qui se passe. Pas déroutés pour un son, ils ne semblent cependant pas très à l'aise au moment de verbaliser quoi que ce soit. C'est donc en musique que les émotions auront été véhiculées. Avec brio, la dernière orientation du groupe les ayant conduit vers un univers soyeux qui me parle beaucoup, même si, au-delà de leur incontestable maîtrise technique, un petit zeste d'émotion supplémentaire aurait pu être véhiculé.
Enfin, alors que la salle se dépeuple, James Greenwood aka Ghost Culture prend place derrière ses deux ordinateurs et dans une obscurité quasi-totale. C'est un show auquel j'assiste depuis les gradins. Cette électro à tendance post-dubstep s'y prête à mon sens, parfaitement et, après quatre concerts, c'est dans ces conditions que j'en profite le plus. Après quelques difficultés à rentrer dans son univers - j'ai pourtant adoré son LP - je suis happé par les couches sonores synthétiques qu'il met en place, et je me surprends à fermer les yeux pour apprécier un show auquel le Britannique mettra un terme bien trop tôt à mon goût...
La Route du Rock, festival mythique et ô combien fantasmé pour ma part car je ne m'y suis jamais rendu, et ce malgré une programmation à chaque fois époustouflante !! (Faut dire que j'habite à plus de 800 km de St Malo).
RépondreSupprimerLa conférence m'attirait beaucoup. Pour la La No Wave, écoute indispensable de la compil "No New York" (1978), dirigée par Mister Eno ! Tiens, je vais te la dropboxer !!!
Blonde Redhead : je n'ai jamais eu la chance, hélas, de les voir sur scène. Quel immense groupe ! Ce concert devait être extra....et rien que voir la très charmante Kazu Makin au mellotron...no comment !!Perso, bien que j'ai apprécié "Barragán", MON LP préféré reste "Penny Sparkle" (2010), sommet planant, vaporeux et downtempo.
Merci pour ce live report !!!
A + amigos@
C'est gentil pour la compil "No New York", mais ne prends pas cette peine, j'ai déjà mis la main dessus =)
SupprimerOui, Penny Sparkle est dans les très bons crus de Blonde Redhead, clairement.
C'est sûr que 800 km, ça fait réfléchir avant de faire le trajet, mais tu sais, les vacances en Bretagne, c'est pas si mal :p
sympa le topo sur la RdR, on s'y croirait... Merci et vivement le 15 août !
Supprimerquel est le problème à avoir un médiator dans sa poche? Tu ne dois pas être guitariste! ;)
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