Hier encore, j'étais en train de rédiger - pas pour ce blog, mais pour IndieRockMag - ma première bafouille concernant David Bowie. C'était à propos de son dernier album, Blackstar. Pour ne pas encombrer l’actualité éditoriale du webzine, la chronique ne devait être publiée qu’au cours de la semaine mais le décès de son auteur a forcément bouleversé cette organisation.
J'ai choisi de ne pas retoucher cette chronique, bien qu'elle prenne un tout autre sens désormais. Un titre tel que I Can’t Give Everything Away a ainsi une toute
autre dimension tandis que les interrogations concernant le timing de la sortie du disque ne sont pas du meilleur goût lorsque l'on connaît l'état de santé de David Bowie.Mais qu'importe cette faute de goût, j'ai estimé que la meilleure façon de rendre hommage à l'artiste, c'était sans doute de juger sa dernière œuvre sans la complaisance d'un regard attendri par la perspective d'y faire un éloge funèbre.
N'empêche, alors que j'avais passé une heure et demie à rédiger cette chronique hier soir (je n'accorde jamais autant de temps pour un écrit quelconque, allez savoir pourquoi celui-là a nécessité une durée si étendue ?), l'annonce de son décès en allumer i>Télé ce matin a eu un effet particulier.
Sur France Info, j'ai entendu quelqu'un dire que la mort de David Bowie était aussi réussie que celle de Molière. Je ne sais pas si on peut réussir sa mort, mais c'est ce à quoi j'ai pensé immédiatement lorsque j'ai appris ce décès. Jusqu'au bout, David Bowie a fait de nous ses pantins.
Reste pour moi à découvrir avec précision la discographie du Britannique, que je n'ai qu'effleurée pour l'instant (malgré la promesse de découvrir chacun de ces albums dans l'ordre sur ce blog, promesse que je ne tiendrai sans doute jamais). Perspective réjouissante dans un moment de tristesse. Une tristesse que je n'ai pas éprouvée pour la mort d'un inconnu (tout artiste soit-il, je ne l'ai jamais rencontré) depuis Mark Linkous. Même la disparition de Lou Reed ne m'avait pas fait précisément le même effet (alors que le Velvet m'a sans doute davantage marqué que Bowie, allez y trouver une cohérence quelconque).
Je regrette que la conclusion de la chronique suivante puisse contenir une forme d'ironie noire au moment où elle sera lue... RIP Mister Bowie !
Reste pour moi à découvrir avec précision la discographie du Britannique, que je n'ai qu'effleurée pour l'instant (malgré la promesse de découvrir chacun de ces albums dans l'ordre sur ce blog, promesse que je ne tiendrai sans doute jamais). Perspective réjouissante dans un moment de tristesse. Une tristesse que je n'ai pas éprouvée pour la mort d'un inconnu (tout artiste soit-il, je ne l'ai jamais rencontré) depuis Mark Linkous. Même la disparition de Lou Reed ne m'avait pas fait précisément le même effet (alors que le Velvet m'a sans doute davantage marqué que Bowie, allez y trouver une cohérence quelconque).
Je regrette que la conclusion de la chronique suivante puisse contenir une forme d'ironie noire au moment où elle sera lue... RIP Mister Bowie !
La chronique :
Que dire de plus concernant un disque qui, quelques jours après sa sortie, a déjà fait l’objet de tant de chroniques ? Vingt-cinquième album de David Bowie, Blackstar bénéficie d’une couverture médiathèque rare et, de fait, de nombreux fans du Thin White Duke ont déjà partagé leur commentaire.
En ce sens, le regard presque vierge de celui qui ne connaît que quelques éléments de la discographie du Britannique ne va rien révolutionner mais il permettra de juger cet album sur ce qu’il est intrinsèquement, au-delà de toute comparaison avec ses efforts précédents.
Pour Blackstar, le mythe a poussé l’égocentrisme à son paroxysme en faisant coïncider la date de sortie du disque et celle de son soixante-neuvième anniversaire. Une idée plutôt riche sur le plan commercial, puisqu’il profite ainsi de la fenêtre vacante séparant les bilans 2015 de la presse spécialisée et la première vague de sorties du cru 2016. A part le nouveau Bowie, il n’y a donc pas de nouveauté à se mettre sous la dent à l’occasion de cette première quinzaine annuelle.
Avec sept morceaux répartis sur quarante et une minutes, le natif de Brixton joue pleinement la carte de l’immédiateté, parvenant une nouvelle fois à s’adapter aux contraintes de son époque. Pour autant, David Bowiereste un personnage qui aime se démarquer, surprendre, et jouer avec les contre-pieds. Aussi, sur cet album relativement court, il place d’entrée l’un des morceaux les plus étirés de sa discographie. L’un des plus remarquables, également.
Avec une entrée en matière telle que Blackstar, voyage hallucinatoire dont les cordes, la voix aux accents robotiques et les percussions psychotiques initiales préparent le terrain pour nous accompagner vers le chaos prévu, sur fond de rite initiatique. Sans transition ou presque, le saxophone de Donny McCaslin fait éclore une tension dont le mariage avec une batterie dégénérée permet une métamorphose extrêmement efficace de ce morceau dévoilé il y a un an. Autre titre phare de cet opus, Lazarus calme le jeu. Au regard de la tension présente depuis près d’un quart d’heure, c’est plutôt bien senti.
L’urgence est pourtant toujours au rendez-vous, et l’on penserait presque au Push The Sky Away de Nick Cavetant, dans une urgence perceptible, la voix de crooner de David Bowie fait preuve d’une élégance folle sur une instrumentation laissant la part belle à des cordes délicates.
Deuxième titre de Blackstar à être revisité, Sue (Or In A Season Of Crime), en s’appuyant sur un orchestre, poursuit les expérimentations post-jazz dressées sur les deux morceaux précédents, en les affublant d’une dimension presque funk qui lui permet de (se) jouer des temps, des contretemps et de l’auditeur. Si Girl Loves Me marque le retour vers des contrées plus « rock », il n’en reste pas moins que le ton est résolument « free » et, entre break, digressions et voix habitée au rythme saccadé, David Bowie semble toujours à l’aise lorsqu’il s’agit de jouer avec l’étrangeté. Même sur des titres plus mineurs, donc.
La gestion des temps semble savamment étudiée et, après ce relatif répit en terme d’intensité, vient Dollar Days. Le piano introductif est bientôt rejoint par le saxophone, véritable fil conducteur de Blackstar, pour une odyssée apaisée lors de laquelle la voix du Ziggy semble plus aérée que jamais sur cet opus – étant entendu que l’on avait promis de réduire au maximum toute comparaison avec le reste de son œuvre. Si l’instrumentation lorgne clairement du côté du jazz, la construction de ce titre est fidèle à un format pop, au sens que ce terme peut avoir dans le répertoire du Britannique.
Enfin, I Can’t Give Everything Away place le niveau d’urgence à son paroxysme – on ne va pas répéter le fait que le caméléon Bowie a toujours su prendre la parfaite mesure du monde qui l’entoure – et parvient une nouvelle fois à faire cohabiter brillamment les codes inhérents à la pop, au rock et au jazz.
Après tout, c’est peut-être cette maîtrise dans le mariage des codes de ces genres qu’il faudra retenir de ceBlackstar. Les percussions habitées, le saxophone dévergondé et la voix libérée ne sont que les outils permettant de mettre en valeur la qualité des arrangements et des mélodies imaginées par un David Bowie auteur d’un grand disque alors qu’on l’aurait davantage imaginé au crépuscule d’une carrière riche, enrichie donc d’un nouveau chapitre élégant. En espérant qu’il ne s’agisse pas du chant du cygne.
Je me retrouve dans ta façon d accueillir le décès de cet artiste que je ne connais que trop peu et dont le disparition m'a choqué, je dois bien l'avouer. Ce d'autant que j'ai découvert cet album hier, tard dans la soirée et que j'ai donc pu découvrir hors de tout pathos. Et sincèrement, cet album m'a foutu une sacrée claque. Touché par la sensibilité immédiate de l'album.
RépondreSupprimerTrès bel hommage que de délivrer tel quel ta chronique. J'espère que Bowie aura pu prendre conscience du succès de ce dernier opus qu'il nous a délivré sur lit de mort.
Claque partagée concernant cet album, vraiment. La sensibilité, comme tu dis, et puis la grâce. Vraiment, je reste sans mot.
SupprimerJe suis un grand admirateur du monsieur, malgré quelques écarts musicaux, il reste pour moi ce grand mélodiste, à la Gainsbourg pour ce qu'il s'agit d'écouter la musique "on the air" et comme tu le dis cette voix de Crooner, assez rare en pop musique. Je suis content d'avoir lu ta chronique détachée de sa mort, je n'ai que survolé son album et je réserve mon sentiment plutôt confus à la première écoute. à suivre
RépondreSupprimerJe te conseille d'y revenir, sur ce Blackstar (quand ce sera le bon moment pour toi), il vaut vraiment le coup, je trouve.
SupprimerEt oui, cette voix de crooner dans la pop, cet art de (se) jouer des contrastes, c'est quelque chose qui est assez admirable chez Bowie.
Excellent album, et Bowie s'est beaucoup référé à Outside pour le faire et en parler apparemment ! Tu as l'oreille ;) Il a parlé avec Eno de revisiter Outside, que cela soit une suite envisagée ou un espèce de "remix", il ne l'avait pas dit... Mais oui c'est clairement une référence.
RépondreSupprimerAssez content aussi d'avoir écouté au moins 3 ou 4 fois l'album avant la nouvelle et d'en avoir un avis détaché de l'évènement. Bien sûr il résonne différemment, notamment les paroles et certains arrangements, mais dans l'ensemble mon avis était fait avant sa mort, c'est pas plus mal je pense. Et oui je pense comme toi sinon, la barre est haute pour 2016. Ton autre grand disque 2016 c'est lequel par curiosité ? Le DIIV m'a bien plu aux premières écoutes, je sais pas si c'est lui...
RépondreSupprimerA moi tu demandes mon autre "grand" disque 2016? C'est un peu tôt non? ;-) Surtout que j'attaque 2014 en détail et "vous" attends pour 2016. et DIIV? Faut déjà que je me renseigne.
SupprimerL'autre, c'est celui des Tindersticks, évidemment.
SupprimerMais oui, découvrir l'album avant l'annonce de la mort de Bowie, c'est une petite satisfaction. Cet album aura deux vies. C'est aussi bien.
Ah d'accord Tindersticks, j'aime bien le groupe mais j'ai décroché de ce qu'ils faisaient depuis quelques années ! Non désolé Devant c'est à El Norton qui en avait parlé que je m'adressais :) Je suis curieux de savoir ça pour le moment le Bowie est inégalé (surveille le DIIV - Is The Is Are quand même El Norton ça pourrait te brancher !)
SupprimerJe n'ai pas encore écouté Outside, je n'en suis pas là dans la découverte de sa discographie (j'en suis à la trilogie berlinoise, je reste fixé dessus), mais vos avis font envie, forcément...
RépondreSupprimerEnfin, j'avais déjà repéré, de ce que j'avais pu en lire, que ce Outside, voire Earthling pourraient me plaire. Je les avais cochés dans ma tête.
Bel article et bel hommage.
RépondreSupprimerEn tout cas la chronique telle quelle s'avère "lucide" (le premier mot qui me vient).
J'ai mis un temps relatif à me décider à l'écouter, comme si je ne pourrais y arriver, J'ai donc refait l'intégrale (quasi) de ses albums et me suis imposé la chronique souvenirs/hommage - puis un ami collègue de boulot me l'a offert d'un air de dire : "bon, tu te décides ?".
Et chaque jour de la semaine il attendait mon sentiment.
Puis je l'ai mis en platine et il ne l'a quittée pendant au moins une semaine...
J'ai pu ensuite reprendre le cours en arrière, cette carrière éclairée de ce nouvel opus.
Outside...
La trilogie berlinoise dont je ne sais me passer...
Young americans, une oasis funky avec Lennon...
Rare, avec pas mal de curiosités...
Sacry Monsters l'acidité Fripp...
Et puis Aladdin Sane, fétiche puisque premier que j'ai écouté.
Avec ce Blackstar j'ai également pris une sacrée claque, encore une fois, tellement en avance tout en étant complètement d'actualité, avec toujours des surprises, des déstabilisations d'écoute, le petit truc qui...
Bref, magique !
THX pour cette chronique.
Merci pour ton retour !
SupprimerLe problème de l'actualité musicale dense, c'est que je suis peu revenu sur Blackstar, ni même sur les albums de Bowie que je connais moins, et que je m'étais promis de redécouvrir.
D'un autre côté, c'est peut-être aussi bien : je me dis qu'il me reste encore des Bowie à découvrir (rien qu'Outside, dont je me languis d'avance au regard de tout ce que j'ai lu), et je me dis que rien que pour ça, finalement, j'ai de la chance.