samedi 12 octobre 2019

Nick Cave & The Bad Seeds - Bright Horses (2019)

Depuis qu’il a remisé les guitares, Nick Cave est entré dans un nouveau cycle fascinant. Six ans après Push The Sky Away - qui en restera le sommet - et trois après Skeleton Tree, Ghosteen poursuit (ou clôt) ce qui s’apparente à une gracieuse trilogie.


Si la vie privée de l’Australien, entre déboires sentimentaux (on se souvient de la rupture avec PJ Harvey et du cathartique The Boatman’s Call écrit dans la foulée) et tentatives de sevrage, a toujours été intimement liée à ses productions musicales, Ghosteen est sans doute, plus que jamais, impacté par celle-ci. Le décès de son fils, l’année précédant la sortie de Skeleton Tree, avait forcément eu des conséquences sur la réception de cet enregistrement, mais c’est bien avec Ghosteen, pour le coup écrit au début du deuil, que l’ombre de cette perte plane sur les ambitions musicales de Nick Cave.
Annoncé une semaine avant sa sortie par la divulgation d’une pochette grandiloquente ou fantasmagorique - c’est selon l’humeur, et sans doute un peu des deux - Ghosteen est un album-marathon (peut-on encore parler de « double » alors que le disque n’est pas encore sorti physiquement ?) dont la première partie est dédiée aux enfants tandis que la seconde, composée deux longues pièces d’une dizaine de minutes reliées par une piste intermédiaire, désigne leurs parents.
Cet « esprit migrateur », comme Nick Cave définit lui-même son disque, contient ses défauts. Principalement les mêmes que Skeleton Tree, et que Push The Sky Away évitait habilement, à savoir ses longueurs. La fin du premier disque ronronne légèrement. Ceci étant dit, la production fine et la subtilité des compositions ne devraient pas inciter l’auditeur sérieux à procéder à un zapping quelconque au cours de ces soixante-huit minutes.


Nick Cave - et Warren Ellis tant celui-ci a pris une part importante, surtout depuis le retrait de Mick Harvey - poursuit sa rupture avec les guitares, ou choisit en tout cas de les utiliser avec parcimonie et dans un registre tout à fait singulier au regard des premières décennies de sa discographie, si bien que dans cette démarche atmosphérique, on croise parfois l’hologramme de Brian Eno, tout particulièrement sur la deuxième partie du disque, et notamment sur le majestueux final Hollywood. Avant cela, sur le chapitre dédié aux enfants, les souffles et arrangements de cordes hantés par la voix caverneuse - mais pas seulement - du crooneur évoquent parfois un post-rock tutoyant l’ambient et rappelant même par moments, aussi bien en raison des arrangements gracieux que par cette voix évoluant vers d’autres sphères, les expérimentations d’un Rob Dougan qui se serait affranchi de ses beats.
Pris individuellement, aucun des morceaux n’atteint la majesté (douloureuse ou non) de Jubilee Street ou I Need You - quoi que - mais ils sont une belle poignée (le mélancolique Bright Horses porté par un piano aussi minimaliste que divin, les variations modulaires de Spinning Song ou Sun Forest et ses faux-airs de Sigur Rós, sans oublier donc Hollywood) à s’approcher de ce niveau de grâce difficilement concevable lorsqu’on les imagine produits par un artiste occupant le devant de la scène depuis bientôt quatre décennies. Certes, Ghosteen souffre de quelques longueurs, mais ce disque aérien est à ce point cathartique qu’il ne pouvait de toute manière pas être parfait. La perfection, c’est l’ennui, et après quarante ans de carrière, tout en partageant son disque le moins mélodique, Nick Cave parvient à éviter habilement cet écueil et grave encore un peu plus sa légende dans le marbre.

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