vendredi 22 avril 2016

Tindersticks - Were We Once Lovers (2016)

Vus pour la troisième fois en live ce lundi (la première, c'était en 2008 sur l'excellente tournée The Hungry Saw, à la Route du Rock, puis en 2013 après le projet Across Six Lap Years), je crois bien que les Tindersticks s'imposent comme l'une des mes formations préférées. Après un tel concert (et une première partie intrigante de Thomas Belhom, plus expérimental et minimaliste encore que sur disque) au sein d'un chapiteau, dans une configuration assise, il ne peut en être autrement.


Contrairement aux autres dates de leur tournée, la bande n'a pas joué The Waiting Room en intégralité (en reprenant quand même l'essentiel), l'agrémentant de morceaux issus principalement des disques récents (The Something Rain, notamment). On appréciera ainsi Show Me ou Medicine, mais aussi les plus vieilles Sleepy Song ou She's Gone.

L'occasion pour moi de ressortir une chronique faite sur IRM sur leur dernier album, et de mettre en avant l'un des titres majeurs de l'album : Were We Once Lovers. Avec ses choeurs croisés et sa progression narrative palpitante sur fond d'incandescence organique, ce morceau a tout du "je l'avais pas vu venir, mais après 5-6 écoutes, c'est un chef-d'oeuvre ce titre".


La chronique :


Les Tindersticks, c’est un petit peu cette bande de copains auxquels on n’a pas besoin d’envoyer un SMS quotidien pour leur signifier à quel point ils comptent pour nous, mais dont on ne raterait pour rien au monde les rencontres organisées régulièrement et lors desquelles l’alchimie fonctionne toujours de manière évidente. Sans se forcer.


Pour leur dixième album - on exclura du décompte Across Six Leap Years qui ne comporte pas de titres originaux - les Britanniques se projettent dans une nouvelle ère. En 2012, à la sortie de The Something Rain, ceux-ci faisaient le point sur une discographie qu’ils appréhendaient, avec le recul, comme la succession de trois trilogies, obéissant chacune à une direction particulière.

Des triptyques qui prennent une ossature assez similaire, avec un premier volet plus expérimental, un second qui constitue à la fois le cœur et le symbole le plus représentatif de la trilogie, avant un ultime disque qui explore déjà d’autres strates sonores et émotionnelles. Ajoutez à cela le fait qu’au sein de chaque triptyque, les disques sont livrés à un rythme métronomique d’une sortie tous les deux ans, et les Tindersticks pourront vous sembler particulièrement rigides, voire obtus dans leur cadence et leur méthode de travail.

Bien sûr, nous n’avons pas évoqué les nombreuses bandes originales (Nénette Et Boni, Trouble Every Day ou Ypres, notamment) signées par la formation originaire de Nottingham, de même que nous ne nous attarderons pas sur le pendant visuel de The Waiting Room, puisqu’à chacun des titres de l’album est associé un clip vidéo dans le cadre d’un projet conçu avec Calmin Borel, co-organisateur du festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand.

Enregistré, comme il est désormais de coutume, au studio du Chien Chanceux basé dans la Creuse, The Waiting Room ne se signale pas, dans son titre, par une singularité à toute épreuve, le thème de l’attente ayant déjà illustré un opus (Waiting For The Moon en 2003), tandis que la salle de vie - à louer, cette fois - faisait déjà l’objet d’un morceau en 1997 (Rented Rooms, sur Curtains). Mais encore une fois, ce n’est ni sur le texte, ni sur le visuel que l’on se basera pour évaluer ce nouvel opus réalisé quatre ans après The Something Rain.

The Waiting Room s’ouvre sur un Follow Me inspiré par une mélodie de la BO du film Les Révoltés du Bounty avec Marlon Brando. Celle-ci entêtait tellement Stuart Staples qu’il avait pris l’habitude de la siffloter auprès de ses compères, jusqu’à ce que l’idée d’en faire le gimmick d’ouverture de l’album s’impose.

Les Tindersticks empruntent, donc, mais se réapproprient surtout. C’est à la fois le cas de cet extrait issu d’une production d’un autre artiste, mais c’est aussi - et surtout - le spectre de leur propre œuvre qui plane sur ce nouveau disque. En somme, les Britanniques ne se renient pas, mais ils semblent néanmoins ouvrir un nouveau volet dans leur discographie.




S’affranchissant des effets électroniques explorés sur la BO de Les Salauds - et ce malgré un spleen presque Moby-esque sur la première partie de Last Chance Man - les Anglais réalisent ici ce qui est sans doute leur album le plus minimaliste. Ainsi, Help Yourself s’appuie sur une base downtempo et un lyrisme jazzy, tandis que This Fear Of Emptiness convoque des cordes et une rythmique dépouillées qui ne sont pas sans évoquer les travaux les plus passionnants - si, si - de Tarmac, alors que The Waiting Room est sans doute le plus minimaliste de tous les titres, Stuart Staples, presque a capella puisque seulement assisté par un orgue discret, partageant des tourments qui le poussent à répéter un Don’t Let Me Suffer qui pourrait être adressé à la chanson elle-même, puisque le chanteur indiquait avoir eu de grandes difficultés à la finaliser.

Pour autant, The Waiting Room ne peut se réduire à cette seule dimension d’épure. Des titres plus musclés - même s’ils ne débutent pas toujours de cette manière - apparaissent ainsi, d’un Were We Once Lovers délectable dont la guitare électrique donne du rythme et assure des passages plus dynamiques sur lesquels la voix de Stuart Staples se fait particulièrement tourmentée et interrogative, à un We Are Dreamers ! à la progression impeccable, qui voit le néo-quinquagénaire partager le micro avec Jenny Beth de Savages dans ce qui constitue l’une des séquences les plus hypnotiques de l’opus.

Cette orientation électrique n’est néanmoins pas majoritaire et les Tindersticks renouent avec les cordes dont ils s’affranchissaient sur The Something Rain. Un titre tel que How We Entered illustre tout à fait l’intérêt de cet apport, puisque, débutant comme un morceau de transition, il s’enrichit rapidement de breaks et instruments à vent qui lui donnent une dimension plus grave, avant que lesdites cordes ne permettent l’apparition d’un surcroît d’émotion qui se déploie et irradie l’espace environnant.

Mais la singularité majeure de ce disque réside probablement dans l’orientation plus jazzy que jamais empruntée par les musiciens. Ainsi, s’appuyant sur la voix de Lhasa De Sela captée lors d’une session d’enregistrement précédant l’apparition de la maladie de la regrettée Américano-Mexicaine, la base instrumentale de Hey Lucinda a été repensée par les Anglais, si bien que des vents nonchalants et désarmants apparaissent désormais.

Sans se faire dominants, ceux-ci interviennent régulièrement sur les compositions d’un opus qui, malgré Planting Holes et le rythme binaire de Like Only Lovers Can, laisse finalement moins de place au piano qu’à l’accoutumée.

Minimaliste et jazzy, The Waiting Room est aussi l’un des disques des Tindersticks qui s’intéresse le plus aux voix. Malgré les deux duos mixtes, cela peut sembler paradoxal puisqu’il comporte trois pistes instrumentales, un record sur un enregistrement du groupe. Pour autant, l’absence et le vide permettent parfois aux éléments de résonner avec davantage d’intensité. Les mélodies dépouillées - et peut-être en ce sens plus expérimentales que jamais - mettent en avant l’organe vocal du leader de la bande avec une efficacité imparable.

Cette éventuelle trilogie qui s’annonce promet d’être au moins aussi fascinante que la précédente, qui surclassait déjà le deuxième triptyque de manière évidente. Les Tindersticks sont décidément de bons copains dont il serait dommage de se priver de ces rencontres bisannuelles.

5 commentaires:

  1. Je ne sais pas pourquoi mais Tindersticks n'est pas forcément le groupe que je vais d'emblée citer lorsque j'évoque la musique que j'apprécie. Pourtant à chaque fois que je sors d'un de leurs concerts, je dois me rendre à l'évidence, ce groupe est vraiment incomparable. J'adore leur musique bien sûr et l'intensité qui se dégage de leurs show mais aussi ce côté simple et très respectueux du public qui les caractérise.

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  3. Belle chronique qui me renoue avec ce groupe qui trace sa route, "Were We Once Lovers?" j'y ai entendu cette façon qu'a maintenant Bryan Ferry de nous susurrer des comptines avec ces voix de crooner qui sortent du brouillard nocturne. Ha les Tinder, c'est quand même à cause d'eux que je suis entré dans l'univers de "Trouble Every Day" qui m'avais laissé ... on dira "bizarre"

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  4. Ah, les Tindersticks, un de mes groupes chérie, celui qui a réalisé un de mes 10 LP 90's préférés ("Curtains", chef d'oeuvre pop lyrique) !!
    "The Waiting Room" est sans conteste une immense réussite, un de leur meilleur. Un des 10 best albums 2016 ??? rendez-vous fin décembre pour vérifier.
    Ton "live report" donne très envie de les voir sur scène. Perso, je n'ai jamais eu l'occas' d'assister à un de leurs concerts mais la bande à Stuart passe cet été à Lyon, pour le Festival "Les Nuits de Fourvières" avec Bertrand Belin en ouverture. J'ai vraiment envie de prendre ma place, même si je vais déjà y voir Zazie (1/07) et pas mal d'autres spectacles cette période...ça me rattrapera un peu du concert loupé de Radiohead, le 1 juin prochain. Malgré tentative, je n'ai réussi à avoir de place (45000 mise en vente parties en quelques minutes, la folie !!!).
    A +

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    1. Arf, pas de chance pour Radiohead... Surtout que l'album semble préfigurer de beaux moments en live.
      Pour les Tindersticks, j'aime beaucoup Curtains, mais ce n'est pas mon préféré, le Tindersticks II et The Hungry Saw (oui, ça étonne souvent) se posant là.

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