jeudi 9 juillet 2015

Girls In Hawaii - Colors (2008) & La nécessité ou non d'une répétition des écoutes musicales

Il paraît qu'il faut goûter sept fois un aliment avant de pouvoir dire s'il nous plaît ou non. Et s'il fallait également appliquer cette idée à la musique ?

A ce petit jeu, nous serions mal. Je n'ai pas besoin d'écouter sept fois "Allumer Le Feu" pour dire que cette composition facile utilise des ficelles usées et assez peu efficaces, tandis que l'interprétation, de la voix qui m'en touche une sans bouger l'autre aux jeux des instruments, est bien trop rentre-dedans pour me procurer une quelconque émotion positive.

Ok. Et en même temps, si je n'avais pas écouté sept fois - voire bien plus - des disques tels que Fantaisie Militaire de Bashung à une époque où j'étais allergique à la "chanson française" (ce qui ne veut rien dire en soi), Richard D. James Album d'Aphex Twin, Ágætis Byrjun de Sigur Rós ou At War With The Mystics des Flaming Lips, soient autant d'albums de chevet qui m'ont agacé avant que je ne les adore, ma vie ne serait pas fondamentalement différente, mais pas tout à fait pareil non plus.

Alors, où est la limite ? A partir de quel moment peut-on dire qu'il faut insister pour aimer un album ? Le caractère ambitieux est probablement un premier élément, et un disque de Björk méritera toujours plus d'écoute pour se faire un avis qu'un Mac DeMarco (que j'adore pourtant).
Par ailleurs, l'aspect déroutant lié au contexte est à prendre en compte. Ainsi, en 2000, le contenu de Kid A en 2000 paraissait forcément plus inattendu que celui de Syro, le dernier Aphex Twin, pourtant extrêmement attendu 13 ans après drukqs, et loin d'être accessible pour un néophyte.
D'autres critères rentrent probablement en jeu, et l'idée n'est pas de dresser ici le plan d'une analyse étoffée. On peut néanmoins imaginer qu'un disque qui anticipe les futures tendances (est-ce lui qui anticipe les futures tendances, ou ces dernières qui se réfèrent à ce disque novateur ?) peut parfois être davantage apprécié quelques années plus tard. J'imagine ainsi que le Blue Lines de Massive Attack n'était, à sa sortie, pas particulièrement accessible pour ceux qui étaient allergiques au hip-hop. Mais ce disque a contribué à casser cette ligne Maginot musicale, permettant, en créant un courant plus nuancé tel que le trip-hop, à réunir les fans de hip-hop et ceux d'un registre plus "indé" (ce qui ne veut rien dire non plus).

En 2015, et même si je suis persuadé que l'on est en train de revenir de cette tendance - la lassitude, la modification des modes d'écoute, la volonté justement de s'approprier davantage l'objet, le retour du vinyle l'illustrant, et bien d'autres raisons l'expliquent -, il est parfois difficile d'accorder plus d'une paire d'écoutes à certains disques sans être débordé par l'actualité musicale. La période estivale - traditionnellement celle des vaches maigres en termes de sorties - permet cela.
Elle permet également de revenir plus en longueur sur des disques parus quelques années auparavant. J'ai pris la mauvaise habitude d'écouter la musique sur mon ordinateur, mais je continue à acheter des CDs, et donc à les écouter (dans la voiture quasi-uniquement).
L'autre jour, pas vraiment en avance pour aller travailler, je regardais à la hâte ma collection, cherchant à dénicher un album agréable pour conduire sous un soleil caniculaire. Plan Your Escape était en haut de la pile. Il s'est imposé de lui-même.

J'avais beaucoup aimé et écouté cet album à sa sortie, en 2008. J'avais d'ailleurs assisté à un concert du groupe (déjà vu quatre ans auparavant à La Route du Rock) qui figure parmi les 10 plus aboutis que j'ai eu la chance de voir. Cela dit, j'ai été déçu par Everest, le troisième opus des Belges, qui faisait suite au décès du batteur du groupe.

Une déception entraîne parfois la révision d'un jugement trop emphatique concernant son prédécesseur. Il n'en est rien pour Plan Your Escape, qui, j'en suis presque sûr aujourd'hui, surclasse dans mon esprit le From Here To There initial.

A ma grande surprise toutefois, certains des titres que j'adorais passe légèrement moins bien. Je pense notamment à Birthday Call, mon morceau préféré qui, si je le trouve toujours génial et très efficace, était plus mémorable dans mes souvenirs. Non, si j'ai réévalué à la hausse cet opus, c'est parce que je ne lui trouve aucun temps faible, et les titres que je trouvais auparavant plus mineurs, tels que Fields of Gold ou donc, Colors, me semblent désormais indispensables.

Colors, donc, est ce que j'avais jusque là qualifié de "morceau de transition". Il débute par une mélodie répétitive jouée au toy piano, avant de décoller légèrement vers 1'15, et comporte tout ce que l'on peut aimer chez les Belges : certains gimmicks d'ambiance (à 1'40), des breaks savamment distillé (à 2'08), des détails indispensables (l'ajout du xylophone à 3'00), un autre univers en progression juste avant la fin (à 4'50, comme pour montrer que le groupe a encore bien d'autres mélodies inexploitées dans son sac) et cette voix pleine d'émotion qui surplombent le titre tout du long.

A la réflexion, je ne comprends pas pourquoi j'avais qualifié Colors de "morceau de transition" tant il est évident que c'est son prédécesseur dans la tracklist, Couples on Tv, qui devrait porter cette étiquette. Une chose est sûre, en tout cas, si Birthday Call était auparavant mon titre préféré, c'est sans doute parce que Colors lui prépare à merveille le terrain, ralentissant le tempo pour que l'énergie et l'urgence de Birthday Call puisse s'accaparer tout l'espace. il n'est d'ailleurs pas anodin que j'apprécie (légèrement) moins Birthday Call maintenant que j'ai découvert tout le potentiel de Colors.

Comme le dit Johan Cruyff, "deux coqs ne peuvent cohabiter dans le même poulailler"*.



*Qu'on se rassure, le Johan, aussi excellent joueur et tacticien qu'il fût, dit aussi pas mal de conneries, et il disait cela à propos de Messi et Neymar avec le résultat que l'on sait (les deux coqs se sont acoquinés d'un troisième - Suarez - et cohabitent à merveille). Pas besoin de choisir entre des morceaux exceptionnels, plusieurs peuvent rayonner, c'est évident, sur un album. Nous voilà rassurés.

5 commentaires:

  1. Comme quoi rien n'est jamais établi, et des morceaux que l'on trouvait géniaux à une période peuvent se révéler moins intenses à un autre moment, au profit d'autres titres... cela m'arrive quelquefois aussi...

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    1. Oui, et heureusement finalement. Si tout était gravé dans le marbre, on n'aurait pas autant de plaisir à revenir vers nos vieux disques =)

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  2. j'ai tout de suite préfèré "Plan Your Escape" à "From Here To There" que j'écoute beaucoup moins.

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  3. Et tu as eu le temps de le réécouter récemment, ce "Plan Your Escape" ?

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  4. absolument... comme toi au volant.

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